Le monde du ballon rond s’interroge sur son avenir financier, alors que s, qui détient 80 % des droits TV du championnat français, veut renégocier à la baisse son implication. Ces nouvelles difficultés liées à la crise sanitaire s’ajoutent à celles dues au piratage massif des rencontres sportives : un phénomène en constante expansion, qui menace durablement le modèle économique du football tricolore, professionnel comme amateur.

Le football français survivra-t-il à la crise sanitaire ? L’interruption de la saison 2019-2020 et les stades désertés par les supporters ont d’ores et déjà fait perdre des dizaines de millions d’euros aux clubs tricolores. Pour parer au plus pressé et compenser autant que faire se peut le manque à gagner dû à la chute des droits de retransmission TV, la Ligue de foot professionnel (LFP) s’est résolue à demander un prêt de 225 millions d’euros, garanti par l’Etat. Mais la crise liée à la pandémie de Covid-19 n’est sans doute que le révélateur, plus que le déclencheur, des difficultés financières du football hexagonal, intimement liées à celles des ayants droit et diffuseurs de rencontres sportives.

Le football français en pleine tourmente

« La crise nous a rappelé le niveau de télédépendance du football français », analyse le député Cédric Roussel, par ailleurs président du groupe d’études Économie du sport à l’Assemblée nationale. Problème : Mediapro, le nouveau diffuseur de la Ligue 1 et de la Ligue 2, accuse lui aussi le coup de la tempête sanitaire. Le groupe sino-espagnol souhaite en effet revoir à la baisse les tarifs auxquels il a acheté les droits des deux championnats français, après s’être précédemment engagé à hauteur de 780 millions d’euros pour chaque saison de L1 et 34 millions pour la L2. « Nous voulons rediscuter le contrat de cette saison (…) très affectée par le Covid-19 (…). On veut renégocier le prix », a lâché, début octobre, Jaume Roures, le patron de Mediapro.

C’est peu de dire que la reculade de Mediapro tombe au pire moment pour le foot français, dont un tiers des recettes repose, en temps normal, sur les droits TV — et encore davantage en période de crise sanitaire. « Les clubs, déjà perdants avec les crises économiques, seraient dans une situation catastrophique », alerte sur Twitter l’économiste du sport Pierre Rondeau : « si demain, ils n’ont plus l’argent attendu (de Mediapro), c’est dépôt de bilan, cessation de paiement, faillite généralisée ». Un risque qui n’épargne pas le football amateur, qui dépend lui aussi en grande partie des droits TV. « Mediapro, c’est 40,7 millions d’euros payés au titre de la taxe Buffet, mais aussi 20,35 millions d’euros reversés à la FFF au titre de la solidarité pour le football amateur », analyse Pierre Rondeau, selon qui « si les droits TV baissent, c’est tout ça à court terme qui pourrait disparaître ».

Le piratage menace le modèle économique du football français

D’autant plus que le modèle économique du football français, professionnel comme amateur, est aussi menacé par le piratage en ligne. En expansion, le phénomène grève les recettes des ayants droit et, au bout de la chaîne, celles des clubs — notamment des clubs amateurs, dont une partie conséquente des financements proviennent de la taxe Buffet, qui porte sur 5 % des droits TV du sport professionnel. Pour Cédric Roussel, l’équation est simple : « lutter contre le piratage de contenus sportifs, c’est préserver notre modèle de financement solidaire du sport amateur ». Le piratage fait peser « une menace sur l’économie du sport en général », estime même la direction de la Ligue de football professionnel.

Un pessimisme partagé par les ayants droit, au premier rang desquels les groupes audiovisuels s’acquittant de véritables petites fortunes pour s’assurer de l’exclusivité des retransmissions télévisuelles. À tel point que « la glorieuse bulle des droits des médias est sur le point d’éclater », selon le patron de la chaîne qatarie BeIN Sports, Yousef Al-Obaidly, selon qui « le piratage s’est répandu aux quatre coins du monde et dans toutes les couches de la société » et dévalorise les droits TV si chèrement acquis. « La croissance sans fin des droits sportifs est terminée. Non seulement ça, mais aussi dans certains cas, la valeur des droits. Elle va s’effondrer. Le modèle économique même de notre industrie va être réécrit. (…) Nous vivons aujourd’hui dans un monde où les droits exclusifs de diffusion sont, de fait, totalement non exclusifs », déplore le DG de BeIN Sports.

De la lutte contre le piratage dépend l’avenir du championnat

Si même les géants du sport télévisé semblent baisser les bras, faut-il donc se résoudre au fatalisme et assister à la disparition programmée du sport et du foot « à la française » ? Les avancées législatives en matière de lutte anti-piratage ne manquent pourtant pas, mais, face à l’inventivité et à la réactivité des pirates en ligne, elles ont presque systématiquement un train de retard. Ainsi de l’article 23 du dernier projet de loi relatif à la communication audiovisuelle, défendu par l’ancien ministre de la Culture, Franck Riester, qui ambitionnait de donner plus de moyens à la justice pour faire interdire les sites pirates. Las, « à ce jour, aucun engagement du gouvernement n’a été pris concernant l’examen de ce texte et l’adoption de cette mesure », regrette le sénateur Michel Savin, à l’initiative d’une proposition de loi de lutte contre le piratage.

Même son de cloche chez son collègue parlementaire Cédric Roussel, qui avait lui aussi tenté de s’attaquer au phénomène en déposant un amendement au projet de loi audiovisuel. « La crise nous pousse à appliquer un principe de précaution pour sécuriser les ressources de nos clubs et protéger notre modèle de financement solidaire du sport amateur par le sport professionnel », explique le député, selon qui « le foot est un spectacle très populaire, mais aussi très coûteux, c’est un paradoxe qui explique la forte consommation de streaming illégal. » « Lutter contre le piratage, conclut l’élu, c’est conforter la valorisation des droits audiovisuels, et la valeur de notre championnat (…), mais c’est également protéger les sources de financement de nos clubs amateurs ». Une lutte résolue, à défaut de laquelle Cédric Roussel redoute une « catastrophe industrielle ».

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